BEETTLE IS BACK
(Le retour du Scarabée)
Vous nêtes pas sans savoir que notre Bernard est de retour dans notre volière. Son
retour nest pas le fruit du hasard, et si il fut de sa seule volonté, je pense que
mon rôle dans cette résurrection nest pas négligeable.
Mais voici plutôt les faits.
Un jour alors que je memployais a soulager la misère de la population
marseillaise(jy suis pompier), je reçu un appel angoissé dEtienne, celui-ci
inquiet de navoir aucune nouvelle de Bernard depuis un certain temps me demandait si
jen avais moi-même.
Je lui répondis par la négative, mais lui promettais den avoir prochainement.
Mes recherches téléphoniques nayant rien donné, je me rendais au domicile de
Bernard, en vain toujours. De plus en plus inquiet moi même, je me rendis également à
son cabinet de dentiste a Martigues où je trouvais porte close. Sa concierge Mme Viard
massura ne pas lavoir vu depuis des lustres (3 pour être précis). Je
téléphonais à mon tour à lensemble des parapentistes de la région, mais de
Scarabée point. Usant de ma position, jutilisais la grande échelle pour
mintroduire chez lui, mattendant au pire. Heureusement le logis était vide de
Bernard, la propreté Phamvamminesque était bien là, mais la poussière accumulée sur
les meubles trahissait une désertion de lhabitat depuis une date reculée. Un
examen poussé de lappartement, me fit découvrir que Bernard était parti sans
doute pour létranger. Des brochures dagences de voyages étaient entassées
sur la table, les sacs de voyage manquaient dans les placards, son passeport et ses
papiers nétaient pas là.
En voyage daccord, mais où ?
Or, connaissant la passion subite de Bernard pour le marathon, je menquérais
auprès de la fédération marathonienne du calendrier des compétitions prévus les jours
suivants .
Et cest ainsi que lon put me voir le mois suivant, arpenter en tenue fluo et
dossard dans le dos, les rues de Grenoble, Paris, Londres et Stockholm.
Jinterrogeais des milliers dathlètes aux aisselles moites de sueur, mais
point de Bernard.
Continuant mon tour dEurope, jarrivais un jour à Zurich, et là, le déclic,
je me rappelais soudain que Bernard avait dans sa jeunesse travaillé pour une uvre
caritative situé dans cette ville.
Cétait cela bien sur, le Minh avait repris sa vocation première, répandre le bien
chez les pauvres du monde entier.
Cinq minutes plus tard je me retrouvais les Reebooks fumantes devant les locaux de «
Molaires sans Frontière » .
La réceptionniste, malgré mon odeur musquée et musclée répondit aimablement à mes
questions.
« Non, le docteur Pham vam minh nest pas revenu ici depuis des années et
cest bien dommage, car un homme avec un tel dévouement et une telle expérience
manque cruellement a notre association. »
Toutefois cette personne, me confiât une liste des villes où avait officié le docteur
Pham Vam Minh.
Muni du précieux listing, je rentrais chez moi, réunis quelques affaires
et pris le premier avion pour Fortaleza(Brésil).
Sur place, ma connaissance de la langue locale maida beaucoup dans mes recherches «
do dentista Pham vam minh » , mais peu de personnes se souvenaient de sa dernière visite
à la Bernardo Clinica. Ainsi le gérant du Blue Inpham Bar, se rappela du docteur Minh
soignant ses pensionnaires jusqu'à 02h00 du matin, en sirotant des batidas. Un examen
buccal attentif de certaines autochtones brésiliennes, me permit dailleurs
dadmirer la qualité du travail de Bernard. Bredouille, je repris lavion bien
décidé à retrouver Bernard coûte que coûte.
A la moiteur et la chaleur tropicale de Fortaleza succéda la moiteur et la chaleur
équatoriale de Manille (aux Philippines pour les ignares dont le monde parapentesque
regorge). Après une agression suivie du traditionnel passage à tabac par les policiers
locaux auprès desquels javais inconsciemment déposé plainte, jarrivais à
lantenne locale de Molaire sans Frontières. La tenancière du Bebert club, me dit
dans un sabir danglais et de coréen quelle non plus navait pas vu «
mister Minh » depuis 4 à 5 années. Quinze jours après avoir écumé tous les gogo bar
en vain, je dut me résoudre à reprendre mes investigations ailleurs.
Larrivée à Bangkok se fit sans problèmes, il y faisait chaud et
moite. Les formalités en douanes (contrôles des papiers, des bagages et fouilles anales)
furent rapidement effectués en moins de 3 jours. Lambassadeur de France qui vint me
sortir du cachot où jattendais gentiment que lon me rende mes papiers, voulut
savoir lui aussi les raisons qui me poussaient à venir à Bangkok. Je lui expliquais
quà la recherche dun ami, je devais me rendre dans le sud du pays pour tenter
de le retrouver .
Il me conduisit alors à la gare routière où je pus prendre le bus pour Pattaya.
Le voyage rocambolesque au milieu des poules, des cochons et des paniers de papayes dura
très exactement 74h30, que je mettais à profit pour apprendre quelques rudiments de
Vietnamien (merci la méthode Assimil).
Le jour de mon arrivée à Pattaya, au milieu de meutes de touristes
allemands et américains, coincida avec lapparition des premiers cas de pneumonie
atypique dans la région, la quarantaine que je dus subir aurait pu être agréable si les
docteurs du cru, ne concevaient leurs traitements quà base de lavements.
Je fus donc laxaté et colloscopé bi-quotidiennement, et mes pauvres connaissances
linguistes anglo-vietnamiennes, ne purent rien pour refréner lardeur des
praticiens. (Cest dailleurs là , que jai appris que le vietnamien est
peu parlé en Thaïlande).
Toutefois mon hospitalisation me permis dessayer par le biais du corps médical
dobtenir des informations sur le travail des dentistes dans la cité.
Apparemment il ny avait dans la ville, ni Pham Vam Minh Teeth Hospital, ni Scarabée
Molar Center. Par contre sur la plage prospérait un « Nanard Table Dancing » dont on
disait le plus grand bien.
Simulant une carie dentaire, je réussissais à pénétrer dans létablissement où
une charmante infirmière torse nu, memmena un whisky et un peignoir. Le massage qui
sensuivis soulagea immédiatement mes pseudos douleurs buccales, mais restant
lucide, jentrepris darracher sous la couette ou la torture les renseignements
que jétais venu chercher.
La première solution fut adoptée moyennant mes derniers dollars, et cest ainsi que
jappris que scarabée était passé par ici il y a 6 mois en transit pour le Népal
voisin.
Enfin je touchais au but, jallais retrouver ce cuistre et le ramener auprès de ses amis. Etienne pourrait ainsi retrouver lappétit et Jack le sommeil. Finissant ce que javais commencé, je me mis ensuite en marche vers le nord de la ville bien décidé à rejoindre le Népal en auto-stop.
En fait la proximité de Pattaya et du Népal est toute relative.
Je commençais à men douter, 1500km plus au nord, lors de mon arrestation par les
autorités birmanes pour trafic dhéroïne et vols déléphants sacrés.
Je le supposais de plus en plus, arrivé à Delhi en pleine guerre tribale.
Jen étais totalement sûr à Karachi, lorsque la CIA me libéra des geôles
islamiques.
Cest dailleurs eux qui mont appris quen fait, javais été
beaucoup trop à louest et que le Népal se trouvait environ 3000km derrière moi.
Quà cela ne tienne, je repartis immédiatement, nul naurait
su me détourner de ma quête .
Je traversais donc le Kashmir en guerre, le pays Sikh en insurrection, vivant de mon corps
ou de rapines .
Je circulais à dos de chameaux, de zébus, déléphants, de gnous et de vaches
sacrées .
Je mangeais des plats de plus en plus épicés, jours après jours. Le dernier, du curry
au gingembre et piment, nécessitant une péridurale du palais avant toute tentative
dabsorption.
Je fis du boutre, du pousse-pousse, et de la pirogue.
Je passais des cols à 6400m en espadrille dans la neige, je gravis même le Karakoram par
erreur (je nai jamais été fort pour lire une carte).
Je fus même séquestré 3 jours, par un Migou femelle avide de mon corps superbe et
parfait (que les ignares relisent Tintin au Tibet !).
Et cest passablement énervé, que jarrivais 2 mois plus tard à Katmandou,
promettant de ramener le Bernard à ses vrais amis par la peau des balloches sil le
fallait.
En ville personne ne connaissait de Bernard, ni de docteur Pham vam Minh. Du reste, leurs
états bucco-dentaires laissaient à penser quil ne connaissaient aucun dentiste.
Je me disais quun type comme Bernard qui se brosse les dents 8 fois par jour pendant
25 minutes, ne devait pas passer inaperçu dans un tel lieu, jeu donc lidée
de limiter. La découverte ou lachat dune brosse à dents relevant de
lutopie, je men confectionnais une, grâce à un bout de bois et une touffe de
poils de fion de yack, puis jallais déambuler sur le marché frictionnant
généreusement mes gencives avec cet outil improvisé.
La réaction de la populace fut surprenante. Cessant toutes affaires courante, les gens me
dévisagèrent un court instant puis se prosternèrent à mes pieds, des lépreux
membrassaient les pieds, des mères me tendaient leurs tendrons souffreteux, des
aveugles me baisaient les doigts. Fuyant leurs pustules et leurs miasmes, je grimpais dans
larbre le plus proche suivit par cette véritable cour des miracles. Assiégé par
cette meute, les gens se tassaient au pied de mon acacia, en criant, chantant et peut
être en priant. Je leur abandonnais tous mes pauvres biens (c a d, mes espadrilles, ma
brosse à dents et ma méthode Assimil pour apprendre le vietnamien en 90 jours), mais
ceci ne les fit pas bouger dun pouce. Ne comprenant pas un traître mot de leur
langage, jattendis la suite.
Heureusement lun dentre eux, au vu de mon visage pale
deuropéen mapostropha en hongrois.
-Mi csinalsz Nepalorsagba ?
-Magyarul beszelsz ? Lui répondis je.
-Persze, es te ?
-Igen,de csak egy kiscy magyarul beszélek, egy baratom kérésem. Renchéris je.
-Mi a neve? Continua t-il.
-Bernard Pham vam minh, fogorvos van!
-Nem tudom.
Bon, en bref pour les incultes qui ne maîtriseraient pas totalement les langues
finno-ougriennes, il ne connaissait pas Bernard. Par contre récemment un moine zen doté
de grands pouvoirs était passé par Katmandou en route pour son ashram perdu au pieds du
mont Annapurna, et lui aussi se frottait les mâchoires avec un baton.
Je demandais aussitôt le nom de ce mage.
Létranger me répondis :
- Cest Pim Pam Poum Rimpoché, la cinquième réincarnation du morpion du
dalaï-lama, que bouddha le protége et que sa route soit toujours recouverte de pétales
de roses.
Holly shit, pensais je, cest mon homme, je touchais enfin au but.
La route vers les Annapurna fut couverte sur le dos dun yack que
lon mavait offert, on mavait fait don également dune besace en
peau de yack, contenant 2 saucissons de yack, une motte de beurre de yack, un fromage de
yack et un litre de lait de yack. Apparemment, dans le yack aussi tour est bon (sauf le
goût et lodeur).
Bref cheminant le long de chemins longeant dimpressionnants précipices, je pensais
à ce qui avait poussé Bernard à abandonner notre valeureux sport desthètes pour
senterrer au fond de lhimalaya.
Tout autour de moi nétait que désolation et aridité, les maigres arbres devaient
étres écrasés lhiver par le poids de la neige.
Lélevage de yack ne semblait pas à ce point passionnant, beaucoup moins en tout
cas que lextraction dune dent de sagesse.
Chemin faisant, je remarquais que le sentier jusqualors désert peu a peu
sanimait. A chaque carrefour, une ou deux familles memboîtaient le pas,
apparemment le téléphone arabe (ou népalais) avait bien fonctionné, un nouveau mage
arrivait dans le pays.
Le groupe se fit cohorte, la cohorte se fit meute, la meute se fit foule,
et cest bien suivi de 500 personnes que jarrivais en vue de lashram de
Pim Pam Poum Rimpoché.
Mille personnes sy pressaient déjà, des népalais bien sur, mais aussi des indiens
aux saris multicolore, des pakistanais au turban blanc, des chinois au chapeau en paille
de riz et même des occidentaux, jy reconnus même le maire de Varage (NDLR: cf un conte provençal )
Cette foule nétait quand même pas là pour notre Bernard !!!
Je fendis la foule illuminé et entrais dans la modeste hutte qui servait de repère à
lex-dentiste de Martigues. Joffrais comme présent à la statue du bouddha
présente à lentrée le fromage de yack (de toutes façons il était humainement
immangeable).
La hutte était sombre. Le peu de lumière que laissait passer les maigres meurtrières
était opacifiée par des volutes de fumée, sélevant dencensoirs posés un
peu partout.
Bernard était là. Apparemment, il était au courant de ma venue et il semblait
mattendre. Son apparence avait quand même changée, bien sûr, il portait une toge
couleur safran, bien sûr, il avait le crane et les sourcils rasés, bien sûr, il
flottait à 15 centimètres du sol en position du lotus, mais sa paire de Nike air
jordans à ses pieds ainsi que sa brosse à dent passée à sa ceinture le
trahissait, cétait notre Bernard !!
Derrière lui, se trouvait un vieux moine jouant du luth ou du cithare, javais du
mal à reconnaître linstrument dans lobscurité, mais la musique en était
agréable et apaisante. Des fleurs étaient tressées entre ses orteils.
Maccoutumant à la pénombre, je vis que le visage de Pim Pam Poum Rimpoché
(puisque il faut bien lappeler ainsi maintenant) était paisible et serein. Mais
enfin je navais pas affronté le Migou et des hordes de gniaquoué pour le
contempler lair hilare!!
Jen vins donc au but de ma visite .
- Bernard, suis moi, rentre avec moi en France.
- Pourquoi faire ? Demandât le vieux moine au cithare.
Mon dieu cette voix ! Pensais-je. Je la connais, cela ne peut être possible.
Et pourtant, en écarquillant mes yeux, les traits du vieux moine se précisèrent.
Malgré les rides, sa coupe sacerdotale, cétait bien Yves, notre Yves, le Yves qui
a enseigné à des générations de mouflets la grammaire et les mathématiques, le Yves
sans lequel je ne serais pas la truffe parantesque que je suis actuellement, le Yves plein
dhumour raffiné que vous connaissez tous.
- Mais enfin, pour ses amis, pour sa famille. Répliquais je.
- Des clous, me dit Yves. La place de Pim Pam Poum Rimpoché est au milieu de son peuple.
- Mais la place de Bernard nest pas au milieu des Yacks et de leurs bouses, Bernard
est fait pour voler, Bernard est une hirondelle, un papillon, un casoar, un pollen ou une
chauve-souris. La place de Bernard nest pas au milieu de 15 000 abrutis fluorescents
à courir 42km275 en moins de 4h00, non, Bernard vaut mieux que ça! Bernard est fait pour
titiller les cumulus, caresser les strato-cumulus, traverser les stratus, fuir les
cumulo-nimbus et éviter les airbus. La place de Bernard nest pas de léviter
bêtement a 15 cm du sol, lair jovial, Bernard a été conçu pour percer la
tropopause, pour se chamailler avec les vautours, pour se disputer le thermique avec les
aigles, pour apprendre à voler aux cigognes elles-mêmes.
Nous aussi, en France, avons besoin des enseignements de Bernard.
Nous aussi voulons savoir pourquoi quand la pie pète, le geai ricane ?.
Nous aussi voulons savoir pourquoi si le gaz part et le car se casse alors ce serait la
mort sûre?
Et nous aussi voulons savoir quelle différence il existe entre les témoins de Jéhovah
et une paire de balloches ?.
Des milliers de molaires et dabcès attendent Bernard à Martigues.
-Soit ! Minterrompit soudain Bernard. Jirai! Mais je reviendrai ici aussi,
sitôt que je pourrai!
Les adieux avec les fidèles prirent tout le reste de la journée, la promesse du retour
prochain de Pim Pam Poum Rimpoché, atténua un peu leur chagrin.
Nous nous mimes en route dés le lendemain à laube, ramenant avec nous le maire de
Varage totalement réjoui.
Il serait trop long de vous conter ici le retour, émaillé de péripéties, en yack à
travers le Pakistan, lAfghanistan, lIrak, la Jordanie, Jérusalem, la Turquie,
le Kosovo et lAlbanie.
Mais enfin, nous arrivâmes bientôt à la maison.
Je vendis aussitôt le yack, pour pouvoir offrir à Bernard léquipement de
parapentiste quil avait jeté jadis aux orties.
Je lui procurait une alpha 2 de chez advance, la véritable voile connard proof, certifié
DHV 0, agrémentée dune sellette double Air bag plus un parachute, un gilet de
sauvetage et 2 radios.
Ainsi équipé, je le traînais une matinée dautomne au décollage de Signes, où
sous les yeux remplis de larmes de ses amis, le Scarabée repris contact avec
lélément qui est le sien, lair.
Au décollage, lémotion fut suivie de la joie, nous nous congratulâmes, nous nous
embrassâmes, nous nous
(non, cest tout, même si certains aurait bien voulus
aller plus loin).
La nuit qui suivit ne fut que ripailles et agapes.
Alors si vous aussi êtes content de revoir Bernard dans les airs, noubliez pas lors
de votre prochain voyage à Signes de venir me féliciter, me récompenser, ou même
simplement de me flatter, jen ai grand besoin.
gbds@voila.fr