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Marathon de Paris 2004 : Aller au bout de soi même ! Par Bernard Pham Van Minh himself

Jour J : Dimanche 4 Avril


5h du mat. J’ai des frissons:je suis déjà réveillé et je n’ai dormi que d’un oeil.. .
Bruno et moi, en silence, ingurgitons un petit déjeuner . composé de Gatosport, céréales, de poudre diététique à diluer + thé.
Le plein est fait il n’y a plus qu’a faire les révisions habituelles :
Crème anti frottement( massage), Purge des niveaux (petit coin), plaque d’immatriculation(dossards), Carburant bien attelé (Gels énergétiques), pneus à bloc (Mizuno Maverick) c’est à peu près tout.
En partant de St Germain en Laye il faisait encore nuit, il pleuvait un peu et il y avait du vent, je me suis dit : "Damned !Ca commence bien" La meteo c’est la science qui prévoit le temps qu’il aurait du faire ! et puis au fur et à mesure que le jour se levait il y avait un ciel dégagé avec seulement quelques gros nuages gris ça et là et qui semblaient partir.
Dans le RER, je trouve quelques jeux de mots à 2 balles pour détendre l’ami Bruno et là dans les rames il y a des dizaines de ponchos "Jogging International" qui me rappellent quelque chose, arrivés à la station Charles de Gaulle-Etoile pratiquement tout le monde descend, ce n'est pourtant pas le terminus !
Pas la peine de regarder les panneaux, il suffit de suivre la masse comme les moutons de Panurge pour aller sur le lieu du départ, arrivé sur place je suis impressionné par tout ce monde qui s'échauffe, premier impératif : faire (encore) pipi, visiblement tout le monde se soulage un peu n'importe où, il y a la queue aux toilettes, je fais dans une bouteille comme les autres, tant pis.
Ensuite nous nous changeons, je vais mettre mon sac au vestiaire ,je remonte l'avenue Foch pour rejoindre le SAS des 3h45, là non plus, pas besoin de chercher, il suffit de suivre le mouvement !
H-30mn : la tension monte d’un cran et le sas est rempli. Je retire ma combinaison blanche de peintre.
H-15 :les handisport prennent le départ
H-5mn :
Compressé dans le sas comme une sardine, impression de solitude extrême malgré mon voisin qui m’écrase les pieds.
5 longues minutes qui me paraissent une éternité. Un petit voyage intérieur qui ne fait pas de mal, pour une meilleure concentration
-Départ -20 sec, il est 8h45 :la plus belle avenue du monde, les Champs Elysées. Plus de 34000 coureurs prêts à en découdre sur 42,195 km.
Le compte à rebours est lancé par le speaker et repris par une foule en délire 10….9….8…7…6…5…4…3…2…1…0 BWOOOM ……….
Coup de pétard ou corne de brume et énorme brouhaha de la foule qui se met en marche accompagné des « Chariots de feu » de Vangelis.
Le portique avec le bip déclenché par les puces est assourdissant, il est atteint avec de fortes bousculades au bout de 4 mn.

Je me prends les pieds dans un poncho, je m'en sors in-extremis, 10 mètres plus loin, je marche sur une bouteille d'eau...remplie d'urine,
KM 0.500 : Je regarde loin devant puis je me retourne pour regarder derrière, la vision de cette masse humaine est surréaliste comme à New York sur le Verrazano, mais , aucun ballon, pas de ballon violet(3h45) mais aucun d'une autre couleur non plus. Etonnant.. !

Je ne me démonte pas, je laisse les autres me doubler, j'ai l’œil rivé sur mon chrono, verdict du chrono : 4’50 « compte tenu de mon objectif de 3h45 je dois faire 5'20" au kilo, je suis en avance et j’en profite pour faire pipi,
2ème kilo : 10'50, ça va je suis dans les temps, il fait beau, pas trop chaud, pas trop froid, je passe la place de la Concorde ou la foule est chaleureuse, ça piétine dans les virages, je continue mon petit bonhomme de chemin J'oublie tout ça (j'essaie) et je continue, kilomètre après kilomètre je respecte mes temps de passage mais je ne suis quand même pas très à l'aise, et surtout je regarde sans arrêt devant et je me retourne mais je ne vois aucun ballon de quelque couleur que ce soit, pourtant je suis parfaitement sur les bases de 3h45, tant pis, je continue, j'ai le soleil en pleine poire et qui en plus réverbère sur la chaussée mouillée, ça me contrarie un peu mais je me dis qu'à la sortie du Bois de Vincennes je ne l'aurai plus. Des mémés traversent la rue en plein milieu du peloton, je manque d'en percuter une, j'entends un coureur derrière qui peste contre ces inconscients.

Sur le bord du boulevard Rivoli la foule est immense, ça crie, ça siffle, ça encourage, c’est la grosse messe du marathon. Le piéton est à l’honneur sur ces boulevards où habituellement il ne survivrait pas 20 secondes à traverse la place de la Concorde comme on vient de le faire !!!

Je suis à l’écoute de tout mon corps, épiant les moindres signes d'alarme qui pourraient me dire qu’il y a un problème, enfin je ne m’alarme pas en voyant des gars me passer à fond les manivelles. Mon timer fait office de juge de paix et me rassure au passage du 4éme kilo et bientôt le 5ème (27’40). Une minute de retard mais c’est ok ,Voilà je suis à fond dans mon rythme, je ne m’occupe plus de personne je laisse aller les jambes, je suis bien sûr ce petit rythme, je jette un petit regard aux spectateurs, et je profite pleinement de ce moment agréable ou courir est si facile .Du bonheur !

 

Nous nous dirigeons maintenant vers Bastille et une foule immense nous attend
Premier ravito aussi, ne pas oublier la petite bouteille d’eau, la soif n’est pas encore là mais vaut mieux boire.
Une longue rangée de tables avec des dizaine de bénévoles nous proposent toutes sortes de ravitos, à la volée de récupérer ma bouteille et m’enfile un quart de flotte, le reste finira sur le rebords du trottoir, j’enquille la rue St Antoine direction Place de la Nation, un petit faut plat va venir sur cette partie de la course. Je ne m’emballe pas pour essayer de maintenir à tout prix le rythme de 5’25 ’ je laisse filer une bonne vingtaine de secondes pour arriver place de la Nation vers le 8ème kilo Cours de Vincennes on attends le 10ème kilo qui s’annonce déjà, je commence à trouver des gars qui vont à mon rythme mais, je ne me fie qu’à moi et lâche ou dépasse volontaire les groupes qui font le yoyo, histoire de pas trop puiser dans les réserves qui vont êtres utiles pour la fin de course.
Qu'est-ce qu'il y a comme monde ! Pas facile de doubler sans bousculer les gens, de toute façon je ne cherche pas spécialement à doubler mais certains traînent un peu, d'autres changent de file brusquement, il faut être vigilant, à un moment je me retrouve pris en sandwich entre 2 coureurs qui ont l'air de se connaître, celui à ma gauche interpelle son copain à ma droite et me hurle au passage dans l'oreille, à part ça, ça va...Les gens dans l'ensemble sont quand même assez courtois et se disent pardon quand ils bousculent, c'est déjà ça.
10km 53’59, j’ai un malus de 1’ je ne m’énerve pas je continue mon rythme pepère, longue descente vers cette Porte Doré des 10 bornes, quel plaisir cette partie ou on est hyper frais, et que ça semble si facile.
Foule en délire, musique , applaudissement tout y est, maintenant on attaque la remonté du Bois de Vincennes vers la Place du Château du m^me nom, le long du Zoo, je commence à toucher le goût spéciale du Marathon, plaisir, angoisse, tout y est.

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Et puis, que vois-je à 100 mètres ? Les ballons violets !!! Youpii, je me cale à distance respectable des ballons, maintenant que je les ai trouvés je ne les lâche plus ! A cet instant de la course je suis vraiment très bien, on sort de Vincennes, je me sens de mieux en mieux, on continue, divers orchestres jalonnent le parcours, de même que des pompiers que je salue,, en plein milieu de la route, heureusement qu'ils préviennent qu'il y a des photographes à 100 m car sinon les pauvres ils seraient engloutis par le peloton . J’ajuste le dossards car les photographes nous attendent à ce moment précis du parcours, petit écart pour être plein champs dans la photo, c’est dans la boite.

Nous arrivons sur la 1ère difficulté de la journée , point culminant du marathon derrière l’hippodrome avant de basculer sur le plateau de Gravelle , le passage est délicat mais faut pas trop s’alarmer, rester dans la rythme sans chercher maintenir à tout prix le temps au kilo. J’arrive en haut du plateau avec un déficit d’une bonne minute 30 sec., ce qui n’est pas grave car ensuite on va filer vers la porte de Charenton sur une partie du parcours assez roulante en légère descente. Je m’efforce d’inspecter l’état de forme après cette première difficulté et tout va bien à priori le 18ème kilo est en vue et je viens de rattraper une dizaine de secondes sur la légère descente.
Je suis enfin en train de m’acheminer vers le semi et je commence à vivre réellement la course. Le 20km est passé et je fais très attention à ne pas me relâcher complètement.
Semi ( 1h53’) A ce moment de la course, j’ai un signe assez fort pour me faire une idée de la forme pour la suite des évènements. Une foule en délire nous encourage et déjà la moitié du travail est abattu. Je redescends vers Paris, rue de Charenton, là c’est assez délicat on est vite emballé par le vacarme de la foule La pente relativement forte est en notre faveur. Je calme les chevaux et met un léger coup frein pour éviter un emballage suicidaire.
Je vois les gars autour de moi accélérer sur cette partie, enfin pour ma part je laisse filer jusqu'à Bastille. Grâce à la descente je me suis remis sur mes temps de passage sans forcer et j’arrive sur Bastille

On aborde les quais de Seine, j'ai tellement entendu de choses à ce sujet que j'ai une petite appréhension, qu'importe, je suis encore vraiment bien à ce moment, on passe sous la première voie sur berge (la plus longue je pense), j'ai un peu peur là-dedans, je ne sais pas pourquoi, en plus je vois les premières défaillances sur le bas-côté, des coureurs qui marchent ou qui sont carrément à l'arrêt, Cinq minutes plus tard, je me prend un coup de coude, ça fait mal, mais j'encaisse, après 10 minutes je n'y pense même plus.
Le tunnel du 27ème Km est passé dans une atmosphère surréaliste, des corps d’athlètes qui se meuvent dans cette lumière jaune, à tout moment on s’attend à voir surgir de nulle part un train fantôme. Des motos de commissaires nous passent à toutes berzingue et nous lâchent leurs relents de gaz d’échappements, Enfin la sortie de ce long tunnel des Tuileries, nous expulse au grand jour et nous rappelle à la dure réalité du marathon qui a commencé son œuvre destructrice sur nos corps.
Cette partie du parcours est pour le moins délicate car nous enchaînons toute une série de toboggans qui font mal dans nos muscles. Mes temps de passage restent corrects avec cependant 2mn de retard et je commence à me demander quand est ce que je vais commencer à lâcher du lest ?
Sous le portique du 30ème Km j’accuse un retard sur mes temps de passage de 2mn30sec. je viens de laisser dans la série de difficultés une bonne minute, qu’il me sera difficile de rattraper compte tenu de la suite des réjouissances à venir.
Le Ravitaillement sur le pavé qui n’en fini pas face à la tour Eiffel, la foule qui crie à tue tête, pour moi c’est un passage très éprouvant. Un gel est le bienvenu et ingurgité avec une bonne abondante gorgée de flotte.
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Je laisse derrière moi cette foule et reprends mon rythme, j’ai encore un bon morale et le physique suit toujours malgré mes 2mn de pénalité, je sais que je commence vraiment à travailler pour construire mon Marathon, jusqu’à présent c’est que dalle, ce que j’ai fait.
Le vrai marathon est en train de commencer et le but est de ne pas le laisser filer .
Une petit difficulté juste avant le 33ème kilo, je garde contacte avec les gars qui vont bon train, on commence à ramasser pas mal de cadavres,.
Le portique du 33 Km est passé , et je commence à faire le point sur ce qui me reste en réserve.

34 km :
La plupart des gars avec qui je tourne commencent à sentir l’écurie, et pour certains c’est le moment de finir ce marathon en accélérant. Pour ma part je reste dans mon rythme en voyant le 35ème Km , Je maintiens toujours le cap, je commence à ressentir de la fatigue et les premieres douleurs apparaissent…
Je ne néglige pas le ravito, , cette partie est vraiment dure car on enchaîne toute une successions de petits virages, petits faux plats dont on se serait bien passé !!!
Ca y est très brutalement vers le 36 Km je sens que tout ne va plus comme je l’espérais. Mes temps de passages commencent à se dégrader, mes jambes ne tiennent plus bon le souffle est impec, mais une lassitude semble envahir tout mon corps. Je suis en train de rentrer progressivement dans la petite mort du marathonien. De plus, les ballons violets s’envolent devant moi ,mon espoir de l’objectif avec !!!
On meurt à petit feu, sans éprouver la morsure directement, c’est un mal être qui vous prend de par tout.
37ème Km, je commence à voir passer quelques groupes de gars plus frais que moi… les meneurs d’allure prennent de plus en plus de distance, le moral en prend un gros coup…
J’espère que tout va bien pour mon pote Bruno…

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38eme kilomètre : sois marathonien et tais toi !

Le moment est grave et je commence à lancer toute mes forces dans une bataille qui d’hors et déjà est perdue d’avance, face au mur insurmontable qui vient se fracasser sur mon crâne.
Je serre les dents, les poings, les fesses, m’applique à avoir une foulée la plus fluide possible, mais rien n’y fait, je suis inexorablement en détresse et mes forces m’abandonnent.
J’ai mal de partout : aux cuisses, au mollets, aux fesses, aux épaules, aux cheveux, j’ai l’impression que mes dents poussent, même le rayon de soleil m’est insupportable…je ne suis plus que l’ombre de moi même, ma tète n’est plus dans l’axe du corps tel un zombie..
Je n’en peux plus et une envie soudaine de dormir me prend dans le bois de Boulogne…Dans ce grand moment de solitude, je ne songe qu’à une seule chose : je ne referai plus jamais de marathon !
Cependant j’ai la force de m’interdire d’abandonner malgré cette petite voix : « - alors, Petit Scarabée, on est à l’agonie ? si t’es naze arrête ! Ton espoir de faire 3h45 est réduit à néant, laisse tomber, t’es foutu ,fais comme certains :abandonne !!
-JAMAIS, je ne cède à la tentation de jeter l’éponge ! Je lutterai jusqu’au bout tant que j’ai mes 2 jambes ( en fait 2 bouts de bois à la place)
Je pense très fort à ma famille, mes amis( et ies),au Dalai Lama, à la Passion du Christ, à mon hamster, mon poisson rouge, pour me donner du courage…
Ces derniers 4 km de boucles dans le bois me semblent une éternité , j’essaie de donner du rythme avec mes bras..et bcp de runners me dépassent …mon allure est pitoyable et j’ai l’impression d’expier mes péchés tellement les douleurs me tenaillent le corps.
40ème J’y arrive péniblement , je fais un rapide calcul, un reste de lucidité et je me dis qu’il est encore possible de rejoindre l’arrivée en moins de 4h en accélérant, le problème c’est que j’ai les batteries à plat !! Il n’est même pas pensable pour moi d’essayer d’accélérer !
Je jette mes dernières forces dans la bataille, enfin j’ai l’impression de batailler même si je ne vais pas forcement plus vite.
Autour de moi c’est la débâcle, ceux qui ont encore des forces, accélèrent comme des malades, d’autres marchent et repartent,certains sont allongés terrassés par des crampes ,moi je cours toujours complètement dans les vapes en attendant la fin du cauchemar.
Dernier kilomètre, un semblant de force me revient mais je n’ai même plus la force de regarder le chrono au passage du 41ème, je serre les dents et file vers cette ligne magique qui matérialise la fin de mes souffrances.
Dernier rond point, dernière ligne droite, le chrono qui égraine les secondes et qui me rappelle
à l’ordre, derniers semblant de sprint avec d’autres coureurs en déroute.
L’air hagard je franchis le tapis rouge au son inhumain des puces « championship…

J’ai donné le meilleur de moi même dans cette bataille mais qui a gagné, pourquoi se battre avec tant d’abnégation, que suis je venu y chercher ?

La vérité est peut être dans la prochaine course…le marathon est un mythe !

Petit Scarabée ( 3h53mn20sec., 14.709eme sur 34.000)